05 décembre 2025

64 - Vieille tante

Chez elle ça puait l'honnêteté : vierge en plastique trônant sur le poste de télévision, chien bâtard sagement couché dans son panier, horloge-baromètre aux armes criardes du Mont-Saint-Michel, portrait jauni d'une aïeule au regard sévère et stupide...
 
Inculte, superstitieuse, aimable avec tous par opportunisme, croyante par habitude, cette vieille tante attardée méritait, à soixante-dix-neuf ans, une bonne raclée littéraire, un concert de trompettes dans l'espèce de caveau lui tenant lieu d'habitation, un énorme coup de masse dans sa routine.
 
Bref, un réveil en fanfare à l'orée de sa mort.
 
Pour commencer je crachai au visage de la défunte encadrée. Vif émoi chez la casanière. Pour faire hurler de plus belle l'emmitouflée pantouflarde, je me mis à lui parler avec la désinvolture des gens qui se savent supérieurs :
 
— "Infâme décrépite, que croyez-vous que vous valez à mes yeux avec une si minuscule existence ? Qu'attendiez-vous donc d'un bel esprit comme moi avec vos allures d'éternelle retraitée ? Que je me range à votre cause inepte ? Cervelle rabougrie ! Gibier d'hospice ! caboche étriquée !"
 
Scandale dans la chaumière. Je m'emparai de la statue mariale forgée dans la vile matière :
 
— "Affreuse chouette, à voir cette horreur couverte de poussière ça fait bien vingt piges que vous avez été vous agenouiller à Lourdes en ânonnant des prières en hommage de l'autre hulotte décatie accrochée au mur, n'est-ce pas ? Et qu'avez-vous fait pour sa mémoire ? Vous avez acheté à prix d'or cet ignoble moulage d'usine. Vous n'avez pas honte ? Femme sans goût, avez-vous au moins ouvert un seul livre dans votre vie de limace, à part les almanachs locaux ?"
 
Je jetai contre l'effigie de l'ancêtre l'objet du délit. Fracas du verre sale recouvrant le cadre (qui en bougeant laissa échapper quelques araignées tapies derrière depuis des lustres), effroi de la propriétaire, rire sardonique de l'auteur de ces lignes...
 
— "Maintenant que vous n'ignorez plus ce que je pense de vous, vous pouvez rendre l'âme ma tata, si elle est encore assez légère pour s'envoler en haut lieu. Votre âge avancé ne vous mettant pas à l'abri d'hériter d'un si petit ciboulot, il serait inconcevable que vous ne me rendiez pas grâces pour ce grand dépoussiérage intérieur que je viens de vous accorder."
 
Je quittai l'ingrate qui ne daigna pas m'adresser le moindre remerciement. Elle mourut trois jours après.

D'inanité.

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