J'aime les vieilles filles des cambrousses reculées. Et lorsqu'elles sont
laides, c'est encore mieux.
Les guenuches acariâtres et bigotes de nos campagnes ont les charmes
baroques et amers des bières irlandaises. Ces amantes sauvages sont des crabes
difficiles à consommer : il faut savoir se frayer un chemin âpre et divin entre
leurs pinces osseuses. Quand ces rombières sourient, elles grimacent. Quand
elles prient, elles blasphèment. Quand elles aiment, elles maudissent. Leurs
plaisirs sont une soupe vengeresse qui les maintient en vie. Elles raffolent de
leur potage de fiel et d'épines. Tantôt glacé, tantôt brûlant, elles avalent
d'un trait leur bol de passions fermentées. Ces chèvres grotesques sont
perverses. C'est leur jardin secret à elles, bien que nul n'ignore leurs
vices.
Ces aubergines flétries sont des mets recherchés : les esthètes savent
apprécier les sorcières d'alcôve au goût âcre. Comme des champignons vénéneux,
elles anesthésient les coeurs, enchantent les pensées, remuent les âmes,
troublent les sangs. Leur poison est un régal pour le sybarite.
L'hypocrisie est leur triomphe.
La médisance leur tient lieu de bénédiction. La méchanceté est leur
coquetterie. Le mensonge, c'est leur parole donnée. Elles ne rateraient pour
rien au monde une messe, leur cher curé étant leur pire ennemi. Le Diable n'est
jamais loin d'elles, qui prend les traits de leur jolie voisine de palier, du
simple passant ou de l'authentique Vertu (celle qui les effraie tant). Elles
épient les hommes derrière leurs petits carreaux impeccablement lustrés. Elles
adorent les enfants, se délectant à l'idée d'étouffer leurs rires. Mais surtout,
elles ne résistent pas à leur péché mignon : faire la conversation avec les
belles femmes. Vengeance subtile que de s'afficher en flatteuses compagnies tout
en se sachant fielleuses, sèches, austères... C'est qu'elles portent le chignon
comme une couronne : là éclate leur orgueil de frustrées.
Oui, je chéris ces ronces desséchées. A l'opposé des créatures heureuses et
épanouies, les pies jacassières cachent en elles des rêves désespérés. Et la
nuit venue leurs chants de corbeaux deviennent des cris de chouette... Trésors
dérisoires et magnifiques, à la mesure de leurs intarissables caquètements de
volaille à bec de rocaille. Ces oiseaux changeants ont la plume sinistre, c'est
ce qui fait toute leur saveur.
Contrairement à leurs rayonnantes rivales, elles ont bien plus de raisons
de me désirer et de me haïr, de m'encenser et de m'insulter, de lire et de
relire ces mots en forme d'hommage et de consolation, inlassablement, follement,
éperdument.
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