Plus mortelles que les anonymes localités perdues : leurs cimetières.
Oubliés dans le cul du pays, ils sont le prolongement extrême de ces bourgs
endormis.
Sinistres ces nécropoles décrépites du cul de notre territoire ? Pas tant
que ça ! En fait ces terres d'inhumations plutôt que de me faire fuir,
m'attirent.
Les cités moyennes avec leur population léthargique des dimanches d'ennui,
leurs bars minables où traînent quelques habitués las, leurs rues mornes où sont
échouées des petites existences sclérosées, leurs passants sans histoire errant
aux heures ronronnantes de l'après-midi, sentent la mort, la vraie mort. Ces
lieux figés de l'arrière-pays, avec leurs tombeaux séculaires où les destins se
résument à un nom illisible, une épitaphe sobre et classique, longue et pompeuse
ou brève et énigmatique, sont un refuge ironique, serein et joyeux, pas si
morbide que ça, loin, très loin des morts-vivants dominicaux qui hantent les
centres-villes des sous-préfectures.
Là, étendues pour l'éternité sous le marbre rédempteur, toutes les vanités
de la province se sont tues et les consciences des trépassés se sont enfin
élevées à la hauteur des causes cosmiques. Aux antipodes des aspirations
"épicières" qui rongent les vivants. Flânant entre les sépultures, je prends la
mesure des gloires villageoises : inconsistantes.
Sous la stèle, la médiocrité se transmute nécessairement en excellence. Les
provinciaux qui furent particulièrement pitoyables au cours de leur vie,
accèdent soudainement à la reconnaissance universelle une fois installés au fond
de leur trou. Là, les banales moustaches deviennent augustes. Dans le secret des
sépulcres définitivement refermées, les pharmaciens affectés ont l'âme
désinfectée, les quincailliers clinquants sont plein d'éclat, les instituteurs
studieux se reconstituent.
Débarrassés du fardeau de leur provinciale insignifiance, ils n'ont plus
que des occupations célestes. Les os dans la fosse mais la tête dans les
étoiles, ils ne laissent aux hommes que le témoignage de leur terrestre,
regrettée ineptie.
Dans ces endroits pétrifiés de la France profonde, les destinées médiocres
viennent s'échouer avec fracas.
Les ambitions locales les plus mesquines se heurtent aux portes de ces
jardins de repos plus cruellement qu'ailleurs. Pour mieux édifier le visiteur
averti. Ici la lame insolente du sort est plus aiguisée que sous d'autres cieux, bien que
son allure soit fruste. Les têtes y sont tranchées par une Camarde en gros
sabots et les défunts gisent là avec une involontaire ironie :
Alphonse TREPASSE, fils du célèbre Maréchal TREPASSE et maire de la commune
UNTELLE, 1845 - 1902
Delphine DUPONT, institutrice dévouée, membre de la Défense de la langue
Française 1856 - 1922 Albert MEUNIER, notaire de Nogent-le-Trou, Président
d'honneur de l'Association régionale des Philatélistes 1858 - 1943...
C'est sur les tombes des coins les plus reculés de la capitale que la
comédie humaine a gravé ses lettres de noblesse.
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