C'est jour de pot-au-feu chez les Mouvier. Les dimanches chez eux sont
pesants, interminables, mortels. L'abbé Borel est invité. Il y a son petit vin
blanc tout prêt qui l'attend près de son assiette, avec l'étiquette délavée.
Bouteille bon marché... Chez les Mouvier, on affectionne la médiocrité. Signe
ultime d'honnêteté, de sobriété, d'immobilisme.
Le vieux couple austère, pâle, taciturne, sent fort la cire. En fait les
deux têtes de navet dégagent une vraie odeur de cercueil. A les voir, on devine
que leur existence ne fut qu'une longue stagnation au bord du fleuve. Eux, sont
toujours demeurés loin de toute agitation. Leur plus grande fierté d'éternels
retraités ! Déjà morts avant d'avoir vu le Soleil, connu l'amour, goûté à la
vie...
En attendant le prêtre, le ragôut mijote sur la cuisinière. Les portes et
fenêtres sont soigneusement fermées, le feu est vaillamment entretenu, l'horloge
bien réglée. On craint le vent, le froid, l'imprévu dans cette maison. La
comtoise justement, elle rassure les hôtes au possible. Satané cadran... Le seul
occupant encore vivant dans cette demeure. Avec ses tic-tac mornes évoquant un
monde suranné et enseveli, il se montre beaucoup plus palpitant que ses
propriétaires au coeur arrêté.
Le curé frappe mollement, entre sans cérémonie, salue avec tiédeur, amenant
avec lui un parfum de formol qui se marie à merveille aux vapeurs de boeuf et de
carottes, ce qui ajoute au tableau une atmosphère de morosité profonde, très
appréciée du duo de sédentaires.
La conversation, d'une pauvreté consternante, sombre dans des gouffres de
banalités. D'un ennui que tous trois, confusément, recherchent. L'ennui, cette
poutre essentielle qui maintient le toit au-dessus de leur pensées basses,
l'indispensable base où prennent racines leurs aspirations tranquilles... Tout
tourne autour de la marmite où chauffe le repas, des oignons, de la cloche de
l'église, des journées dominicales à venir qui, l'espèrent-ils, ressembleront
invariablement à celle-ci... Le tout arrosé d'une bonne dose de propos
météorologiques. Attablés autour de la fricassée comme pour faire le point sur
leur sort sans saveur, les mangeurs se sentent en sécurité dans leurs échanges
insipides mêlés de bruits de mastications. Avec les sifflements de la bouilloire
pour pluie de fond et le carillon pour meubler l'indigence des paroles.
Le cérémonial de la viande bouillie aux légumes occupera leur après-midi
jusqu'à l'heure du thé.
Quelle aventure !
Un voyage statique d'enterrés particulièrement réussi.
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