01 octobre 2025

58 - Le pot-au-feu

C'est jour de pot-au-feu chez les Mouvier. Les dimanches chez eux sont pesants, interminables, mortels. L'abbé Borel est invité. Il y a son petit vin blanc tout prêt qui l'attend près de son assiette, avec l'étiquette délavée. Bouteille bon marché... Chez les Mouvier, on affectionne la médiocrité. Signe ultime d'honnêteté, de sobriété, d'immobilisme.
 
Le vieux couple austère, pâle, taciturne, sent fort la cire. En fait les deux têtes de navet dégagent une vraie odeur de cercueil. A les voir, on devine que leur existence ne fut qu'une longue stagnation au bord du fleuve. Eux, sont toujours demeurés loin de toute agitation. Leur plus grande fierté d'éternels retraités ! Déjà morts avant d'avoir vu le Soleil, connu l'amour, goûté à la vie...
 
En attendant le prêtre, le ragôut mijote sur la cuisinière. Les portes et fenêtres sont soigneusement fermées, le feu est vaillamment entretenu, l'horloge bien réglée. On craint le vent, le froid, l'imprévu dans cette maison. La comtoise justement, elle rassure les hôtes au possible. Satané cadran... Le seul occupant encore vivant dans cette demeure. Avec ses tic-tac mornes évoquant un monde suranné et enseveli, il se montre beaucoup plus palpitant que ses propriétaires au coeur arrêté.
 
Le curé frappe mollement, entre sans cérémonie, salue avec tiédeur, amenant avec lui un parfum de formol qui se marie à merveille aux vapeurs de boeuf et de carottes, ce qui ajoute au tableau une atmosphère de morosité profonde, très appréciée du duo de sédentaires.
 
La conversation, d'une pauvreté consternante, sombre dans des gouffres de banalités. D'un ennui que tous trois, confusément, recherchent. L'ennui, cette poutre essentielle qui maintient le toit au-dessus de leur pensées basses, l'indispensable base où prennent racines leurs aspirations tranquilles... Tout tourne autour de la marmite où chauffe le repas, des oignons, de la cloche de l'église, des journées dominicales à venir qui, l'espèrent-ils, ressembleront invariablement à celle-ci... Le tout arrosé d'une bonne dose de propos météorologiques. Attablés autour de la fricassée comme pour faire le point sur leur sort sans saveur, les mangeurs se sentent en sécurité dans leurs échanges insipides mêlés de bruits de mastications. Avec les sifflements de la bouilloire pour pluie de fond et le carillon pour meubler l'indigence des paroles.
 
Le cérémonial de la viande bouillie aux légumes occupera leur après-midi jusqu'à l'heure du thé.
 
Quelle aventure !

Un voyage statique d'enterrés particulièrement réussi.

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