Sa vertu consistait en des puérilités de vieille fille. Elle fréquentait avec assiduité les lieux austères, sombres, humides : caveaux, chapelles décrépites, presbytères aux relents d'hospice. Et consultait également des livres poussiéreux sans intérêt, s'abîmant frénétiquement dans la lecture de des vieux missels, assistait à toutes les messes...
Son honnêteté était légendaire. En aucun cas cette taupe ne sortait le soir. La bête de l'ombre ne portait
que des vêtements de deuil, se détournait naturellement des hommes tant elle
avait pris l'habitude de les mépriser depuis ses premières règles. Si bien qu'à
quarante ans la recluse était devenue laide et acariâtre.
Un jour cependant, prise d'une sorte de fureur utérine propre aux hypocrites de son espèce, la célibataire alla exhiber sa nudité sur une plage
où personne ne la connaissait, loin de son village natal. Ce pitoyable animal se délectait à l'idée
d'éveiller de mâles ardeurs au-delà de son clocher.
Sèche, osseuse, sans forme, la cloîtrée fit l'effet d'un repoussoir. Tel un chardon dans un pot affreux. La mauvaise herbe n'avait
que de la peau et des épines. Rose dénuée de pétales, longue tige couverte de
piquants, femme flétrie et anguleuse, sa carcasse sans appas provoquait le
dégoût, la pitié, voire les quolibets. De cette créature accoutumée à
l'abstinence, aux concerts des cloches d'églises, au silence des cimetières et
aux murmures des confessionnaux, on ne voyait que les côtes qui ressortaient, la
chair trop pâle, l'allure étriquée. Cette femelle était un squelette, un corps
décharné. Même le Diable n'aurait pas voulu d'une si piètre compagne d'alcôve.
Elle exposait ridiculement sa poitrine plate aux regards, se déhanchait
maladroitement sur le sable, s'ébattait stérilement dans les flots comme si elle
voulait rivaliser avec les beautés charnelles qui l'entouraient... Le spectre
dansait, tandis que les Vénus doraient au soleil.
La baigneuse à l'aspect de cadavre retourna dans sa bourgade, plus fielleuse que jamais, maudissant les
éphèbes parce qu'ils n'avaient pas daigné poser leur oeil concupiscent sur
ce qu'elle pensait être un "trésor préservé". La déclassée se consola en se plongeant avec fièvre dans ses bréviaires, usant entre ses doigts de momie
ses sempiternels chapelets et multipliant ses promenades morbides au bord des
tombes. Ce qui la rendit encore plus disgracieuse, plus honnête, plus vertueuse,
plus infréquentable.
Son existence fut un grand désert. La chasteté, la solitude, l'ennui furent
ses compagnons de route, les seuls qu'elle admît. La plante amère mourut dans le plus
parfait anonymat sans que l'affichage de son irréductible pureté ait reçu la
moindre récompense. On l'inhuma en modestes pompes. La ronce fut vite oubliée.
Ainsi en est-il du destin des laiderons vierges et acrimonieux.
Sur sa sépulture nul n'alla se recueillir. Sauf moi. Sur sa stèle je laissai la trace
éphémère de mon passage.
Me penchant sur le marbre médiocre, j'y déposai un crachat.
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