La troupe des patriotes est réunie, tout de tricolore
parée. Il y a le vétéran, la poitrine couverte d'honneurs, ventru, rougeaud,
déjà transpirant de pastis. Avec sa mine d'éternel abruti, il est raide comme
une stèle devant l'étendard qui flotte sur le mémorial des deux guerres. Il y a la
belle Gisèle, la putain de Monsieur le curé. Prête à pousser le couplet
patriotique pour se faire remarquer des villageois... Belle est un mot un peu fort :
la cinquantaine décatie, édentée, claudicante, apprêtée comme une jument de
trait, elle fit rêver plus d'un béret. Parce qu'elle est blonde, on dit qu'elle
est avenante dans le coin. Critères locaux...
Son bourricot d'abbé est à son côté, évidemment. Noire
soutane et missel sous le bras, l'air de rien : fadasse, lisse, insignifiant. Un
fétu de paille, un poltron, voire un ancien collabo disent certains... Passons
plutôt à son voisin, le père Hector, le chef du village. Une cuve à bière que
même une barrique n'effraie pas ! La réputation jamais usurpée d'être un sacré
foutu couillu de chaud lapin... Élu dès le premier tour avec 45 voix sur 60. La grande affaire de sa vie. L'homme respecté du clocher. Autour de ces quatre
piliers, les notables : commis agricoles, bedeau, épicier et son épicière, la
secrétaire municipal, divers moustachus grasseyants...
Face au Monument aux morts l'hymne national
retentit. Les tambours communaux résonnent, terribles. Quelques rosières
endimanchées tressaillent, trop émotives. D'autres, plus canailles, se pâment.
De sa voix chevrotante la Gisèle entonne le chant, rapidement désynchronisée
d'avec l'orchestre. Une larme coule sur la joue du vieux soldat. Simple sueur
d'ivrogne... Le dernier refrain achevé, un silence officiel pèse sur la place, vite
relayé par un concert d'aboiements : les chiens des alentours, excités par le
fracas des percussions, apportent une note vachère à la
cérémonie.
Le discours du maire est très applaudi, bien que
truffé de fautes grammaticales. "Drapeaux" au pluriel fut héroïquement accordé
avec "martial" au singulier, non sans trémolos nationalistes dans la gorge du
serviteur de l'Etat.
La journée des célébrations du 14 juillet terminée,
tard dans la nuit chacun s'en retourne chez soi ou ailleurs cuver son dû
républicain. La poule du prêtre, au presbytère. Le doyen des combattants, dans
le fossé, ivre-mort. Le reste des administrés, dans leurs étables, les bistrots des environs ou
plus sobrement, nulle part.
L'hôte de la mairie, dans son lit.
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