23 février 2025

29 - 14 juillet

La troupe des patriotes est réunie, tout de tricolore parée. Il y a le vétéran, la poitrine couverte d'honneurs, ventru, rougeaud, déjà transpirant de pastis. Avec sa mine d'éternel abruti, il est raide comme une stèle devant l'étendard qui flotte sur le mémorial des deux guerres. Il y a la belle Gisèle, la putain de Monsieur le curé. Prête à pousser le couplet patriotique pour se faire remarquer des villageois... Belle est un mot un peu fort : la cinquantaine décatie, édentée, claudicante, apprêtée comme une jument de trait, elle fit rêver plus d'un béret. Parce qu'elle est blonde, on dit qu'elle est avenante dans le coin. Critères locaux...

Son bourricot d'abbé est à son côté, évidemment. Noire soutane et missel sous le bras, l'air de rien : fadasse, lisse, insignifiant. Un fétu de paille, un poltron, voire un ancien collabo disent certains... Passons plutôt à son voisin, le père Hector, le chef du village. Une cuve à bière que même une barrique n'effraie pas ! La réputation jamais usurpée d'être un sacré foutu couillu de chaud lapin... Élu dès le premier tour avec 45 voix sur 60. La grande affaire de sa vie. L'homme respecté du clocher. Autour de ces quatre piliers, les notables : commis agricoles, bedeau, épicier et son épicière, la secrétaire municipal, divers moustachus grasseyants...

Face au Monument aux morts l'hymne national retentit. Les tambours communaux résonnent, terribles. Quelques rosières endimanchées tressaillent, trop émotives. D'autres, plus canailles, se pâment. De sa voix chevrotante la Gisèle entonne le chant, rapidement désynchronisée d'avec l'orchestre. Une larme coule sur la joue du vieux soldat. Simple sueur d'ivrogne... Le dernier refrain achevé, un silence officiel pèse sur la place, vite relayé par un concert d'aboiements : les chiens des alentours, excités par le fracas des percussions, apportent une note vachère à la cérémonie.

Le discours du maire est très applaudi, bien que truffé de fautes grammaticales. "Drapeaux" au pluriel fut héroïquement accordé avec "martial" au singulier, non sans trémolos nationalistes dans la gorge du serviteur de l'Etat.

La journée des célébrations du 14 juillet terminée, tard dans la nuit chacun s'en retourne chez soi ou ailleurs cuver son dû républicain. La poule du prêtre, au presbytère. Le doyen des combattants, dans le fossé, ivre-mort. Le reste des administrés, dans leurs étables, les bistrots des environs ou plus sobrement, nulle part.

L'hôte de la mairie, dans son lit.

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