Martine est une belle jeune fille intelligente et lucide, passablement
pieuse. Selon les apparences épanouie, équilibrée, franche, rien en elle ne peut
laisser supposer quelque singerie comportementale, hypocrisie sociale ou frasque
sexuelle cachée. Pourtant à la messe le dimanche elle adopte une posture de
circonstance parfaitement caricaturale. Les yeux fixant imbécilement le vide,
l'air mièvre, la voix pleine d'onction, elle prend de sottes allures d'ouaille
primaire. A la grande satisfaction de l'abbé qui se voit conforté dans son rôle
de berger.
Devant l'officiant Martine bêle avec conviction, affiche son sourire le
plus puéril, exhibe sa piété totalement outrancière, s'extasie lourdement en
regardant les images saintes les plus niaises... Bref elle fait la Vierge
d'Épinal.
Elle considère la pratique religieuse avec le sérieux de ces obséquieuses
dévotes de province torturées par les dogmes, obsédées par la doctrine,
sclérosées par les formules latines. Fidèle aux règles les plus ridicules
inspirées par son missel, Martine perd tout sens critique dès qu'elle passe le
porche de l'église. Au point qu'elle se fond avec les esprits étriqués qui
prient en sa compagnie une heure par semaine, allant jusqu'à suivre sans
complexe leurs moeurs vestimentaires : fichu sur la tête et chapelet à la main,
la juvénile demoiselle devient une petite vieille prosternée, rabougrie,
insignifiante.
Est-elle sincère ?
La vérité est qu'en dehors de l'office Martine a un comportement aussi faux
que possible, sa vraie nature de bigote profonde s'exprimant dans toute son
ineptie une fois qu'elle se retrouve agenouillée face au prêtre. Tout le reste du temps elle ment, singeant la donzelle délurée que, foncièrement, elle n'est
pas. Et ne vit que pour ce moment intense et bête où enfin il lui est loisible de laisser se
manifester la petitesse de son âme immature.
Elle se sent au sommet d'elle-même dans cette attitude de suprême
idiote.
Elle incarne à elle seule l'ivresse des platitudes, ce fol et étrange
vertige de sous-préfecture.
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