C'était un vieillard d'aspect insignifiant, un misérable diable, un
détestable rabâcheur sans intérêt. Il n'avait aucune conversation, parlait sans
égard pour ses interlocuteurs, leur envoyant continuellement des postillons à la
figure.
Pourtant cet homme aux dehors ineptes et de si désagréable compagnie
incarnait secrètement un véritable génie de la littérature, un fou illuminé de
la plume, une sorte de Hugo contemporain. Qui pourrait croire que derrière cette
espèce de pouilleux débraillé se dissimule en réalité à un auteur de fresques
romanesques et poétiques d'une portée universelle ?
Il recevait dans sa bicoque insalubre maints journalistes. Mais à chaque
fois c'était une déception pour les reporters... A moins que ce ne fût un
événement, une curiosité, tant les interviews tournaient au vide le plus total :
cette pitoyable personnalité ne se sentait nullement concerné par les questions
qu'on lui posait. En fait ce créateur de haut vol ne s'intéressait pas du tout à
ses productions livresques. Il dérivait très vite vers des sujets hors propos,
s'enflammait pour des détails de la vie quotidienne sans la moindre consistance.
On s'ingéniait à s'entretenir avec lui de belles-lettres, d'art, de philosophie,
il répondait avec passion quincaillerie, passoires, entonnoirs...
On l'interrogeait sur ses textes, son inspiration, la richesse de son
oeuvre littéraire... Il sous-évaluait ces considérations essentielles, s'en
fichait même complètement, préférant s'étendre stérilement sur les solutions
qu'il avait trouvées aux problèmes rencontrés avec son évier bouché. Il
gesticulait comme un sénile en évoquant le prix du ticket de bus de sa petite
ville de province qu'il estimait trop cher. Il ressassait de vieux griefs à
l'endroit du facteur qui se trompait parfois de numéro de boîte aux lettres,
persuadé que le préposé aux postes lui en voulait à mort à cause d'un courrier
insuffisamment affranchi et donc surtaxé, à sa charge. L'avaricieux et
susceptible radoteur n'accepta jamais de régler le postier qu'il avait
copieusement insulté et traité de voleur... Une histoire de quatre-vingts
centimes de francs.
Il ne discutait que de ce genre de choses, à des années-lumière de sa très
riche et superbe prose. Il s'égarait sans cesse dans des bavardages de minable,
de pauvre type, de raté, de pensionnaire d'hospice alcoolique et abruti.
Et tout en ennuyant lourdement ses hôtes, il buvait sa piquette. Pour
couronner le tout, il ponctuait ses longs et insanes discours de grasses
plaisanteries. Lamentable, sans finesse, il ne contenait en lui pas l'ombre
d'une parcelle d'esprit.
Mais juste dans les apparences, car le contraste était immense entre la
teneur de ses écrits et les haillons verbaux que constituaient ses caquetages de
gâteux. Sous ses allures douteuses de calamiteux pépère se cachait un seigneur
de l'écriture, une cervelle brillante, une âme pleine de lumière.
Mais incurablement inapte aux causeries mondaines.
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