Gisèle, dite "la belle Gisèle", la quinquagénaire décatie qui sert de "dame
de salon" à Monsieur le curé, avec toute la réalité crapuleuse que
sous-entendent ces termes édulcorés, Gisèle disions-nous, se dirige vers le
clocher, le front droit, l'oeil canaille, l'épaule torve, la jambe lourde, la
mine pas fine du tout.
Aujourd'hui c'est fête, le grand jour : dimanche de Pâques ! Une des
meilleures recettes de l'année... Gisèle le sait, c'est elle qui tient la quête.
Dans le bourg nul n'est dupe de ses coups tordus : avec le détournement d'une
partie de l'argent pie, elle s'achète sans se cacher écharpes aux coloris vifs
et souliers vernis.
Il y a même du fil doré sur les bagatelles qu'elle porte.
Ha ! Elle fait bien le bonheur du camelot, allez ! Impossible de ne pas la
remarquer quand elle parade au marché du jeudi sur la place du village... Fière,
froide, hautaine avec son sac-à-main acquis à Pentecôte, juste après la récolte
des pièces. C'est qu'elle ne perd jamais de temps la Gisèle... Elle en fait
jaser plus d'une, c'est sûr !
Et avec ça elle fait tourner la tête à plus d'un commis. C'est qu'elle
commence à avoir des airs de "galante de la ville" la Gisèle, avec ses toilettes
de luxe... Pensez donc, des fibres brillantes sur ses cache-cols ! On n'a guère
l'habitude de voir déambuler des chouettes aussi élégantes dans le patelin. Il
paraît que le bedeau, le brave Émile, depuis que la Gisèle s'habille comme une
princesse, sonne les cloches de travers. L'amour l'a rendu encore plus benêt
qu'il n'est.
Il faut dire que le marchand ambulant qui fournit la Gisèle s'est fait une
jolie réputation en vendant un chapeau à plume à l'épouse de l'ancien élu. On
dirait une authentique bourgeoise de sous-préfecture ! La première fois qu'elle
apparut ainsi affublée, c'était il y a quinze ans, l'événement émut la localité
à l'époque... L'abbé en parla même dans son sermon dominical. On frisa le
scandale.
Bref, la renommée du colporteur ayant dépassé les limites de la paroisse,
désormais sa clientèle est plus choisie. Citadine, prétendent les mauvaises
langues... Il est vrai que seuls les notables osent franchir le pas : la
légitime du patron vacher du hameau voisin, les filles de l'épicier, et même le
premier adjoint au maire en personne.
Mais revenons à Gisèle sur le chemin de l'église. Depuis qu'elle est
responsable du panier à sous, c'est une autre femme. Avec ses allures de
mondaine, elle impressionne même Fernand le Président de l'Amicale des Chasseurs
de la Commune, qui n'est pas homme à se laisser émouvoir facilement.
A force de rouerie combinée à l'assiduité aux messes, la Gisèle est devenue
une personnalité incontournable dans le coin. Toujours vêtue d'effets de chez le
vendeur de fripes, elle en impose la gaillarde !
Mal enrichie mais respectée. L'habit faisant finalement le moine, quoi
qu'on dise...
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