La vieille fille dont je vais conter l'histoire et que l'on surnommait
"Mademoiselle la Diablesse" était non seulement fort laide mais encore très
méchante, sotte, cruelle. Voire ignoble. Cette femme n'aimait absolument
personne, frustrée de n'être point née du flanc de Vénus.
Elle battait son chien à heures fixes, médisait sur ses voisins, crachait
dans la sébile des mendiants, maudissait son curé, insultait même le Bon Dieu le
dimanche à l'église. Non contente de se révéler parfaitement impie dans ses
actes, elle se montrait obstinément assidue aux messes. Fausse dévotion destinée
au dieu Hypocrisie...
Rien ne l'amusait tant que d'aiguiser son coeur de silex. Elle demeurait
insensible à la souffrance des enfants qu'elle détestait, mais éprouvait une
étrange pitié pour les asticots que les pêcheurs utilisaient comme appâts. Elle
se réjouissait du malheur de ses semblables, seule consolation à sa misère.
C'était un monstre de rombière acariâtre.
Notons que ses traits déplaisants, pour ne pas dire repoussants, ne
l'empêchait nullement d'étre tenaillée par les nécessités de la sensualité
qu'une abstinence prolongée et forcée rendait plus vives encore. Mais tout chez
elle était décidément corrompu : ses désirs charnels n'étaient que perversités,
honte, bassesses... Ses féminins vertiges consistaient en la perspective de
saillies brutales et abjectes, exemptes de toute tendresse.
Elle se mit en tête d'attirer de mâles débauchés avec les seuls artifices à
sa portée : la cosmétique bon marché. Elle se farda outrageusement. Loin
d'éclipser sa disgrâce physique, ce maquillage eut pour effet de la
décupler.
Grimée en poupée ridicule, elle faisait peur à voir.
Elle se crut désirable et acheva de se dégrader en s'affublant de noires
dentelles et de verts souliers. Ainsi parée, son dessein premier fut de faire
des avances au sacristain du village qui outre de n'avoir pas son pareil pour
faire sonner l'airain, jouissait surtout de la réputation de manier avec art un
certain battant...
Elle frémissait à l'idée d'ajouter un son fêlé au concert de cet expert en
cloches.
Avec sa tête affreuse, ses membres osseux, ses côtes apparentes, son corps
anguleux, elle ressemblait à une longue araignée attendant sa proie. Dès qu'elle
vit l'oiseau sortir de son clocher, elle exerça sur lui ses viles
séductions.
Mais le brave bedeau qui n'avait de goût ni pour la chair triste ni pour
les créatures contrefaites, encore moins pour les épouvantails harnachés de
broderies douteuses, répondit à ses feux morbides par une paire de gifles
magistrales, agrémentées d'un crachat bien ajusté entre ses pommettes
ingrates.
La gueuse s'en fut, plus fielleuse que jamais, jurant par tous les diables
que la prochaine fois elle dissimulerait ses intentions libidineuses derrière le
masque permanent et authentique de sa naturelle laideur plutôt que sous celui
d'une mensongère beauté.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire