Le poste de télévision trône dans le salon du couple de retraités,
impérial. Toute l'autorité de la demeure... Pour l'instant il est éteint. La
vitre parfaitement astiquée de l'appareil reflète avec gravité l'image déformée
des hôtes de la maisonnée. Dessus, une Vierge en plastique vous regarde
placidement avec des yeux de poupée maquillée. Un napperon sévère isole la
"statue" mariale du téléviseur. Tout semble bien à sa place sous ce toit. La
niche du chien casée dans le coin de la pièce avec la gamelle gravée à son nom
"Sultan" et un joujou en forme d'os sifflant annonce des après-midis dominicaux
paisibles à coudre ou à jouer aux cartes après des semaines sans histoire.
Midi sonne en ce jour de Pâques. Un plat de sages quenelles fume sur la
table recouverte d'une nappe en formica. Le repas est réglé sur l'horaire des jeux télévisés. On patiente donc un peu avant de s'installer et de se servir.
Au mur, une horloge-souvenir décorative
du Mont-Saint-Michel dont les douze chiffres marquant les heures sont surmontés
par autant d'emblématiques coquillages de la côte normande. Plus de doute, nous
sommes bien chez d'authentiques encroûtés... De fervents et disciplinés adeptes
de la religiosité la plus pétrifiée doublés d'amateurs de l'art le plus
sirupeux. Les plus criantes incarnations provinciales de la sclérose
d'esprit...
Ô tranquille, honnête et chaste foyer de dévots où jamais rien de mauvais
ne se produit !
Etant donné qu'aujourd'hui c'est dimanche, les "soucoupes-Jean-Paul II" ont été sorties pour l'occasion. Les respectables
"aînés" dégustent leurs saucisses de brochet avec la tête du pape au fond de
leur couvert, ravis de pouvoir côtoyer leur héros de manière si intime, à portée
de fourchette.
La télé qui vient d'être
allumée diffuse à présent sa lumière rassurante sur les fronts des deux
mangeurs, telle une chandelle éclairant une scène virgilienne. Parfois les
couleurs criardes d'une page de publicité jettent des reflets irréels sur les
visages absorbés autant par les boudins de poisson que par la face pontificale
coiffée de sa calotte dans le cul de leur assiette.
Heureux duo d'abrut... d'aboutis ! Ha ! le bonheur de l'existence calme et
rangée, avec ses petits riens essentiels qui meublent délicieusement des
journées toutes semblables, égales dans le déroulement, sans heurts ni
déceptions !
Mais laissons à sa félicité sans ombre ce ménage de sénil... de seniors,
souhaitons à ces charmants doyens de vivre longtemps entre le récepteur
télévisuel et la faïence commémorative confectionnée avec des coquilles de
fruits de mer, religieusement accrochée au fronton de leur salle de
séjour.
Retirons-nous sur la pointe des pieds, non sans jeter un dernier regard
plein de tendresse vers ces vieux et ternes vers de terre... Enfin je veux dire,
vers ces pieux, verts et éternels tourtereaux.
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