Le père Gaga, le riverain qui habite à deux pas de chez moi, est content :
aujourd'hui dimanche 14 mai c'est fête sur les quais du Mans.
C'est le jour glorieux de l'exposition de peintures d'amateurs. Les bords
de la Sarthe ont été joliment parés pour l'occasion : rubans, fleurs et pinceaux
débordants de couleurs illuminent le quartier. Gaie, fleurie, ensoleillée, et
pour tout dire mortellement ennuyeuse, la rue longeant la rivière n'a jamais été
aussi bien endeuillée de blanc.
Des rapins sortis du fin fond de leur province étriquée exposent sans
complexe leur caca pictural. Des groupes de crétins au pas alangui s'extasient à
voix basse.
Me mêlant à la détestable assemblée, je décide de suivre le vieux Gaga dans
son expédition de sénile. Les poussettes sous le soleil éclatant que précèdent
des géniteurs à la flamme amoureuse éteinte finissent par me dégoûter
définitivement de l'honnête hyménée, mais ravissent quelques bonnes soeurs tout
de noir vêtues. Mon héros de voisin au cerveau ramollo, enchanté devant cet
étalage interminable de mauvais goût (la berge est longue), continue son chemin
en réajustant de temps à autre sa casquette.
En passant à côté d'une croûte infâme, j'ai cru qu'il allait s'étrangler
d'admiration. En fait il s'étonne de la forme de la chaise sur laquelle est assis le "peinturluteur".
Plus loin une vendeuse de gâteaux-maison lui cède une portion de tarte
aux pommes à prix d'ami. Il est très satisfait de l'affaire, le pépé Gaga. Il faut dire
qu'ils se connaissent depuis quarante ans ces grands acolytes du quotidien : ils
font partie des indétrônables enracinés du coin... De vraies légendes ! Les
mythes stationnaires de ce secteur léthargique de la ville statique. Une
complicité de quatre décennies de propos météorologiques les unit. Castor et
Pollux peuvent aller se rhabiller !
— Ha il fait-y beau aujourd'hui, n'est-ce pas ?
— Ha ça le Père Gaga pour faire beau, il fait beau, hein
!
Affligé par ces sommets de nullité rassemblés sur ce seul trottoir, je n'ai
pas la force de poursuivre jusqu'à son terme ma filature.
Je rentre, prends mon clavier et dans une inspiration vengeresse me confie rageusement à ses touches.
Ainsi vient de naître cette pitoyable et édifiante histoire d'ornière
dominicale.
Que ce lamentable naufrage que je viens de relater en ces lignes acerbes et
salutaires serve de leçon aux endormis de la Terre en tous genres et réveille
tous les pères Gaga de ce siècle en particulier !
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