Avec le son extrêmement strident de ses cordes vocales et ses propos
complètement ineptes qu'il débite continuellement et sans raison valable, Albert
Figuetorack (nom étrange inspirant d'emblée l'hilarité), déplaît à tous, hommes
et bêtes.
Il fait fuir tout le monde, ne se rendant nullement compte que sa simple
présence est une torture pour n'importe quelle créature sensée ou sensible, tant
il importune avec ses incessants, imbéciles discours sans objet. Ni les chats ni
les chiens ne résistent aux notes suraiguës de son incroyable voix de fausset.
Les humains encore moins, ses mots étant parfaitement vides de sens, dénués du
plus mineur intérêt. Il ne profère que des insanités, rien que des sottises, des
absurdités de toutes sortes ou d'interminables et répétitives banalités, ce qui
est peut-être bien plus insupportable.
Abruti fini depuis toujours mais tout de même assez lucide pour admettre
l'infirmité de sa cervelle incapable d'exprimer la moindre pensée intelligente,
cet inlassable conquérant des lieux communs se complaît dans sa situation.
Patauger dans la totale médiocrité semble être son idéal de vie. Il ne songe
aucunement à tenter de se rattraper de quelque manière que ce soit. Au
contraire, il n'aspire qu'à se "perfectionner" dans la nullité.
Chose curieuse, il a éminemment conscience de passer pour un sot inouï mais
ne s'aperçoit absolument pas que ses sifflements de flûte déréglée et ses
infatigables paroles de sénile furieux agressent toute personne, tout animal à
portée de ses éclats. Même lorsqu'il est seul, en toutes circonstances, il
n'arrête pas le moulin à sornettes :
– Ha ! Y va faire du beau temps aujourd'hui ! Il va t'y faire de la
belle météo, le soleil y va-t-y donc pas se laisser ennuager par les bancs de
nuages enblandimanchés de blantitudes non rectales car faut savoir que du caca
c'est pas clair, hein dites ? C'est les nuages qui sont gris comme du caca de
beurre blanc. Y va-t-y faire du beau temps aujourd'hui derrière les nuages
blancs ? Le soleil y veut-y percer par un trou dans le ciel ?
Et ainsi de suite. Au sujet de la météorologie mais aussi d'un caillou par
terre, d'une touffe d'herbe, d'un courant d'air... A chaque instant, à la
première occasion, c'est-à-dire mille fois par jour et cela dans tous les
aspects de son existence, ce puits de bêtises manifeste à qui veut l'entendre
-et nul ne veut l'écouter pas même le plus fou des auditeurs- les épuisantes
arabesques verbales de son esprit tordu.
A cinquante ans il n'a jamais connu de femme. Ce qui l'enflamme de
satisfaction, l'enivre d'une inexplicable joie... Chômeur à temps complet,
parasite des institutions sociales et client-profiteur sans scrupule des oeuvres
de bienfaisance de sa ville, il hante sans cesse les magasins alimentaires,
quand il ne demeure pas devant sa télévision allumée en permanence.
Le pire dans cette histoire, c'est que je crois que ce roi des platitudes
régnant sur on ne sait quelle obscure sous-préfecture est réellement,
authentiquement, incompréhensiblement heureux ainsi.
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