Jadis je connus un bossu acariâtre. Il allait toujours au puits muni d'un
bâton, et gare à celui qui croisait son chemin ! Il frappait pour un oui ou pour
un non : pour un regard anodin, pour un mot à côté d'un autre, pour une virgule
de travers, pour un silence qu'il estimait déplacé... Il maniait le bois vert
par habitude. Si bien que rares restaient indemnes ceux qui osaient encore le
côtoyer.
Un soir où j'allai puiser de l'eau claire sous la Lune, je me trouvai nez à
nez avec le courbé devant la source. Soucieux de m'épargner quelque volée de
trique, je fis comme s'il n'était pas là. Le satellite éclairait impassiblement
la scène. En me penchant au-dessus de l'onde profonde, je vis le reflet du tordu
qui brandissait vers moi sa tringle. D'un geste vif j'esquivai le coup. Emporté
par son élan, l'agresseur faillit choir dans l'abîme.
Enragé par tant de malchance, le méchant infirme pesta contre l'astre
mort.
J'en profitai pour m'éclipser, le seau vide mais les os intacts, trop
heureux de m'en sortir avec si peu de bris et de peine. Peu après j'appris
l'incroyable nouvelle : l'affreux difforme était devenu riche.
Dans une réaction inutilement vengeresse, par dépit il voulut reboucher le
réservoir avec des grosses pierres, mais l'une d'entre elles brisa un coffre
enfoui. Sous les lueurs de la sélène présence, de l'or apparu au fond du
gouffre.
Sa mésaventure s'était soldée par la fortune.
Désormais plein d'écus, il n'en demeura pas moins aussi féroce et haineux
qu'avant : le lendemain, et cette fois en plein jour, je dus éviter les accès de
rage du revanchard au dos cassé.
Loin de l'amadouer, l'opulence le maintenait davantage dans sa fosse de
fiel, décuplant même son aigreur originelle.
Ce trésor providentiel l'avait transformé en une plus dure ordure.
A la différence près que depuis ce temps il portait sa bosse non plus avec
regret mais avec un orgueil mal placé, attendu que fort sottement il mit ses
gains soudains sur le compte de ce furoncle dorsal.
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