Il était mentaliste d'arrière-pays, issue d'une localité anonyme,
parcourant les agglomérations moyennes de numéros en numéros. Non sans une
certaine gloire, même si celle-ci était mêlée de médiocrité. Un bref passage à
Paris l'éblouit définitivement : c'est là que l'amour, à 52 ans, entra dans sa
vie.
Magnifique brune élancée, parisienne avant tout, elle arborait des os
faciaux saillants qui lui conféraient un charme puissant. Il avait les dents
jaunes mais souriait avec une exquise distinction "vieille France", quoique ses
manières fussent légèrement maladroites. Ils venaient de se rencontrer dans la
ville lumière.
La ville lumière...
Avec ses pommettes anguleuses, sa mâchoire carrée, son front antique, le
visage de cette superbe trentenaire à la coiffure sophistiquée rappelait celui
d'une camarde somptueusement grimée. Lui, en dépit de ses quenottes jaunies
n'était point laid.
Ils s'aimèrent, dans la métropole radieuse. Puis apprirent à mieux se
connaître de nuit en nuit, sous les feux de la cité éternelle.
Il n'était plus question pour lui de jouer au clown déclassé devant un
public de sous-préfecture : l'illusionniste devait tenir son nouveau rôle
d'amant à part entière, avec ses canines teintées il est vrai. Elle, sépulcrale
mais belle femme malgré tout, des flamboiements dans le regard depuis leur
rencontre, ne remarquait plus la denture douteuse de cet authentique provincial que
les étincelles de la capitale avaient étourdi. Le fantaisiste quant à lui voyait
la face d'aphrodite en cette panthère caressante, avec ses
yeux profonds, ses rires graves, sa chevelure ténébreuse...
Dans la Lutèce moderne aux lampes allumées, tout devenait éclatant.
Il riait de toute sa ganache, tandis qu'elle lui faisait des charmes sans
fin avec sa crinière sombre, son ossature proéminente et tous ses artifices
mondains.
Dans la Babylone lumineuse, la lourde province s'était étrangement combinée
avec l'Élégance. Une fusion improbable du sabot et de la semelle délicate. Et
contre toute attente, parfaitement réussie. Déesse raffinée aux attraits
funèbres, la créature balayant d'un coup tous ses préjugés ne jurait plus que
par ce saltimbanque au parler désuet.
Et aux incisives ternies.
Vraiment, elle rayonnait de beauté. De cette beauté chaude, venimeuse,
orientale qui fascine, effraie et fait rêver. Le baladin, un peu gras, la veste
démodée, avait l'air de ce qu'il était : un galant anachronique un peu rustaud.
Lui avec ses molaires négligées, elle avec ses traits quasi cadavériques, ils
formaient un duo fulgurant, soudés comme deux éclairs simultanés, deux
flammes d'un même orage. En fait deux spectres : le premier un peu ridicule mais
touchant, le second dégageant un mystère un tantinet macabre. L'un ressemblait à
une vieille photo pâlie, l'autre faisait songer à une grande statue mortuaire.
Ils se perdirent dans la mégapole illuminée.
L'histoire ne dit pas ce qu'il advint de ce couple insolite car nul ne le
revit plus jamais, mais nous imaginons qu'il s'est volatilisé dans les
scintillements Paname. Désagrégé, dématérialisé, pulvérisé en direction des
étoiles. Juste au-dessus de la Babel solaire, précisément.
Lui avec ses crocs colorés, elle avec sa tête en forme de crâne.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire