La Pauline est un squelette.
Maigre à faire peur, plate et rêche comme une crêpe aux épines, cette
plante amère n'a pas de seins, pas de forme, pas de chaleur, pas de
charme.
Mais beaucoup de rage.
Contre les gosses, essentiellement. Son rêve le plus cher serait de noyer
lentement le fils de sa voisine dans la Sarthe boueuse et malodorante, un joli
bambin épanoui et rieur qu'elle croise deux fois par jour sur le pont enjambant
la rivière mancelle.
Evidemment il ne faut pas chercher bien loin la raison de ses obsessions
infanticides... Son ventre stérile n'ayant jamais rien offert de beau au monde,
elle jalouse le bonheur des autres femmes, crevant d'envie d'ensevelir leurs
fruits dans la fange, ne trouvant la force de sourire hypocritement aux mères
honnêtes qu'à travers ces ignobles idées de meurtre.
Classique.
Mais là où elle est surprenante la Pauline, c'est sur l'objet de ses furies
charnelles mal dissimulées. Ordinairement ces sinistres chardons ne dressent
leurs ronces libidineuses que vers leurs jeunes curés faussement suspectés
d'homosexualité, vers leurs livreurs de bois musculeux membrés comme des
guerriers ou plus banalement vers les pires voyous de la ville...
Ses fixations d'érotomane à elle sont moins communes : c'est sur
la statue du Christ de l'église de son quartier que cette vipère aimerait bien
répandre ses humeurs acides, perdre sa virginité de criminelle inassouvie.
Prévisibles encore, penserez-vous, ses flammes érotiques blasphématoires à
l'endroit la sainte effigie ? Certes.
A un détail près : la sculpture christique, façonnée dans le plus pur style
néo-contemporain, est aussi abstraite et linéale, froide et conceptuelle -et
pour tout dire parfaitement métallique et inhumaine- que son corps de femelle
déréglée est affreux et décharné.
Carcasse de métal contre ossature de chair.
S'imaginant chevaucher cette masculinité de fer et de chimère, étrange
conception phallique qui la fait fantasmer jusqu'au délire, elle bave de désirs
crapuleux tous les soirs face à son grand crucifix rédempteur en caressant avec
une coupable fébrilité son missel dont le portrait de Benoît XVI servant de
marque-page a été sournoisement remplacé par la représentation outrancière d'un
énorme phallus...
Par décence on taira ici l'odieuse scène qui se déroule à l'heure des
vêpres dans le pieux édifice quasi désert. Toujours est-il qu'à la suite de
cette communion impie une véritable opération miraculeuse a lieu sur la cervelle
corrompue de la scélérate.
Ayant ainsi apaisé ses crises utérines à horaires fixes, au retour du
sanctuaire lorsqu'elle croise sur la passerelle pour la seconde fois de la journée le
fils de sa voisine rentrant de l'école, contrairement au matin ses inclinations
au crime se sont considérablement amoindries.
C'est ainsi que l'enfant sans le savoir a pu survivre à la soif
d'assassinat de la Pauline grâce à l'oeuvre d'un génial artiste qui a pu, sans
le savoir lui non plus, canaliser la fureur lubrique de cette folle bigote
obsédée par la haute croix d'acier.
Une fois adulte, devenu brillant avocat, il eut à défendre la
Pauline.
Le défenseur a obtenu la relaxe de sa cliente dans une sordide affaire de
moeurs.
La Pauline, ainsi sauvée de plusieurs années de réclusion par celui-là même
qu'elle avait voulu immerger dans l'eau sale sarthoise quinze ans auparavant,
renouvelle régulièrement ses "prières" vespérales sous le même clocher...
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