Marie-Thérèse était une femme sans scrupule ni hygiène ni souliers. Elle
marchait pieds nus, se mouchait dans la nappe, trompait les aveugles en leur
rendant la monnaie. Épicière de son état, Marie-Thérèse avançait un chiffre
d'affaire médiocre. Cette célibataire quinquagénaire était une entêtée de
caractère, redoutable, finaude et peu encline aux confidences.
Avec ses apparences de notable, la commerçante avait une mentalité de
vagabonde. Arborant un tricorne à plumet, allongeant le pas sans semelle, elle
ne manquait pas de cervelle cependant : la tête couverte, le talon dévoilé, les
poches percées, elle courait dans les rues comme dans les forêts en scandant des
refrains champêtres -ou paillards- mêlés de comptes domestiques pointus. En
effet, coiffée de son chapeau empenné et levant lestement sa cheville sans
protection, Marie-Thérèse ne rechignait pas, tout en cavalant, à chanter ses
calculs et pourcentages mercantiles sur des airs joyeux.
Et même mélancoliques !
Ce n'était pas ses courses insensées à travers villes et bois qu'on lui
reprochait, mais sa propension à déterrer les cadavres de chouettes que des
paysans méfiants tuaient depuis des générations, autant par tradition que par
superstition. C'est que Marie-Thérèse avait pris l'habitude de confectionner ses
soupes avec les oiseaux de malheur. Opportuniste et lucide, l'étrange gitane des
champs savait tirer profit de la sottise de ses concitoyens.
Elle cheminait les orteils à l'air mais pédalait dûment chaussée... Juchée
sur son vélo rouillé, elle ressemblait à une déchue princesse des sentiers
pleins de poussière. Son inénarrable couvre-chef se voyait de loin et le
grincement de sa monture était reconnaissable d'entre tous. On disait en
l'apercevant : "Voilà la vélocyboulette !"
Mi démente, mi démone, Marie-Thérèse avait de l'allure !
Son commerce périclita. Elle finit faucheuse d'herbes. Besogne absurde,
grotesque et inutile qui ne lui rapportait que peines et tourments. Enfin, un
labeur pas toujours infructueux en vérité : parfois elle s'enfonçait dans les
fossés pour y couper les plantes folles qui y poussaient, ce qui soulageait le
travail des cantonniers. Mais la plupart du temps elle guillotinait les tiges de
verdure au hasard dans la prairie, n'importe où dans la nature, quelque part
dans les espaces libres, entre le lointain et l'horizon...
Comme ça, pour rien, sans raison valable.
A l'heure qu'il est, elle n'est pas morte du tout. Ca fait trente-cinq ans
qu'elle arpente chemins creux et sylves séculaires, la vieille Marie-Thérèse.
Elle fauche, déchaussée, sa drôle de cornette à plume sur le front. Ca lui fait
quatre-vingt cinq ans. Etant donné qu'elle ne représente pas une menace pour la
société en dépit de la lame qu'elle trimballe sur le dos à longueur de journée,
nul n'a encore songé à la faire interner.
On ne l'aime guère dans le coin certes, mais au moins on la laisse récolter
ses gerbes de graminées sauvages.
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