Dans certains coins de la province profonde, de tous temps on y déniche des
tribus d'âmes arriérées. Le père Mesnier est un cas. Ce personnage singulier se
distingue de ses concitoyens agrestes par ses frasques mondaines, ses moeurs
parisiennes, ses délicatesses d'un autre monde. Mais aussi par ses outrances de
philistin. Bien que depuis sa naissance il n'aie quitté son canton, on le
prendrait pour un citadin. Ou pour un bourgeois en sabots. Ou pour un ours aux
ailes de papillon... Le corps solide comme le roc, l'étrange volatile est
incassable. Mais également inclassable. Un drôle de bipède en vérité.
Définitivement phallocrate, congénitalement efféminé, fantasque et sage,
raisonnable et pervers, notre homme sait rallier quiconque à sa cause, laquelle
se résume en deux mots : l'ail et la Lune. Amoureux fou de l'astre noctambule et
passionnément versé dans la culture des liliacées, il ne mange nullement ces
gousses qu'il trouve infâmes, ne veille en aucune façon sous les rayons de la
planète blonde. Ce timbré de plaisantin présente une personnalité pour le moins
paradoxale...
Les femmes représentent glorieusement un éternel sujet d'indifférence aux
yeux de notre héros qui ne jure que par la Poésie ! Inculte, paresseux,
gourmand, il n'a jamais ouvert aucun livre de sa vie. Ce qui ne l'empêche pas de
postuler régulièrement pour une place à l'Académie Française dès que trépasse un
immortel. Ni de jouer de la lyre dans les rues de son village tôt le
matin.
Le père Mesnier va à la messe le mardi, avale des crêpes fort banales le
dimanche, imite assez bien le cri de la pie tous les jours de la semaine. Chez
lui, il y a des tableaux de maîtres, des vaches, pas de cochons, des poules
rares et des faïences choisies. Il aime chrétiennement son épouse, chèrement les
arbres, piteusement l'avoine, mais n'apprécie pas du tout le vin chaud.
Il collectionne le vent, l'eau de pluie, les fleurs fanées et aussi les
lettres de grands écrivains avec qui il correspond assidûment depuis plus de
trente ans.
Si vous le rencontrez un jour au détour de son clocher quelque part au fin
fond de la France, n'hésitez pas à lui adresser la parole et même à lui parler
fort, vu qu'il est un peu dur d'oreille, mais évitez surtout de converser avec
ses voisins.
Ce sont de véritables anonymes, et de la pire espèce encore : rien que de
pauvres haricots verts.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire